« Well, What Were You Wearing ? »
Le magazine féminin Elle du 17 février mentionne le travail de Katherine Cambareri, une artiste américaine qui vient de lancer le projet « Well, What Were You Wearing ? ».
Elle en explique le concept sur son site Internet : « Quand une jeune femme est agressée sexuellement, la principale question qu’on lui pose est généralement “Que portiez-vous au moment de l’agression ?“. Ça me désole car les agressions sexuelles sont une question de domination et de contrôle, pas une question de vêtements. » Comme si la victime était en fait la coupable, avant même que l’agression se produise. Pourtant, comme le dit la photographe : « Il n’y a pas de taille, de corps types. Aux États-Unis, une agression sexuelle a lieu toutes les 107 secondes. Et peu importe la garde-robe. » Comme le démontrent ses images qui font voler en éclats, de façon implacable, tous les stéréotypes en replaçant l’agresseur à sa place. [C.Rob., Elle, 17 au 23 février 2017.]
Au travail, les femmes victimes de la loi du talon
Une Londonienne recrutée en tant que réceptionniste par une entreprise d’intérim rédige une pétition au Parlement suite à son licenciement parce qu’elle refuse de porter des talons de plus de 5 centimètres.
Les élus de Westminster vont débattre de la possibilité d’un nouveau texte de loi. Ils estiment que la loi sur l’égalité, l’Equality Act voté en 2010 et censé interdire ce type de régulations discriminatoires, n’est pas assez contraignante. Le texte, pourtant clair sur ce qui constitue une discrimination, ne semble pas empêcher les entreprises d’inscrire des codes vestimentaires sexistes dans leurs règlements intérieurs : obligation de porter du maquillage (en précisant parfois la teinte du rouge à lèvres ou du vernis), talons obligatoires (entre 5 et 10 centimètres précisément), couleur de cheveux imposée (souvent le blond) ou proscrite (souvent le gris). […]
Selon Jean-François Amadieu, sociologue et auteur de la Société du paraître, les femmes sont souvent recrutées pour ce qu’il appelle leur «capital érotique» : «Vous avez un capital scolaire, économique, culturel… explique l’auteur. Et vous avez un capital érotique, qui se monnaye aussi sur le marché du travail. Dans certains métiers, l’employeur va s’emparer de cette capacité à séduire, l’utiliser et en tirer profit.» Pour maximiser son investissement, il s’assurera que le contrat de travail oblige l’employée à mettre ce capital en avant. Exception faite des postes à hautes responsabilités, où là, le capital érotique devient un handicap : «Plus on monte dans les échelons, plus les attributs doivent être masculins, précise Amadieu. Sous peine de pas être prise au sérieux. Les exigences de séduction qui existent pour une hôtesse d’accueil, une assistante de direction ou une réceptionniste ne seront plus les mêmes pour les postes de direction.»
Sofia Fischer, Libération, 14 février 2017, http://www.liberation.fr/france/2017/02/14/au-travail-les-femmes-victimes-de-la-loi-du-talon_1548492
Des hôtesses à l’hippodrome de Chantilly, dans l’Oise, en 2011. Photo Sophie Chivet. VU
Paye Ta Shnek
Dans un article des Inrockuptibles du vendredi 13 janvier 2017, Carole Boinet retrace la genèse du site Paye Ta Shnek, Tumblr qui dénonce le sexisme en publiant des propos machistes, sexistes ou dénigrant les femmes.
Paye Ta Shnek est créé en 2012 par la graphiste Anaïs Bourdet. L’idée lui vient suite au visionnage d’un documentaire de Sophie Peeters (http://www.marieclaire.fr/,sofie-peeters-femme-de-la-rue-bruxelles,696077.asp), qui filmait en caméra cachée les agressions verbales dont elle était la cible en se promenant dans les rues de Bruxelles. Anaïs Bourdet comprend qu’elle n’est pas la seule à subir insultes et propositions salaces en raison de son sexe, mais ne se sent pas l’âme d’une militante. “Je suis très timide, je ne descends pas dans la rue avec une pancarte“. Internet lui offre une autre voie: celle des blogs.
Ce sera donc Paye Ta Shnek, expression volontairement outrancière, à la mesure de la violence du harcèlement de rue. “C’était une façon de me réapproprier une insulte, sur le même principe que les Slut Walks qui se sont réappropriées le terme de “salope”, en ont même fait une revendication” explique-t-elle.
Et voici que Paye Ta Shnek se mue en modèle de Tumblr anti-sexisme. A chaque domaine professionnel sa déclinaison. Chair Collaboratrice tout d’abord, qui s’abstient de reprendre l’expression “Paye Ta” mais glisse tout de même un jeu de mot dans son titre. Créé dans les affres de l’affaire Denis Baupin en 2016, il atteste du sexisme en politique. […]
L’importance accordée à ces témoignages anonymes s’explique par le manque de valeur accordé à la parole des femmes, trop souvent minimisée, dévaluée, niée, voire tournée en dérision. C’est pourquoi les auteures de ces Tumblr féministes les publient tous, sans jamais contacter leurs expéditrices ni chercher à vérifier la véracité des faits relatés :
“C’est un vrai parti pris que de ne pas remettre en question les témoignages ; on le fait déjà partout. Souvent, quand une femme parle de sexisme, on l’accuse d’exagérer, on nie, on la culpabilise. Du coup je ne voulais surtout pas les remettre en question” explique Anaïs Bourdet.
Insultes sexistes
D’un point de vue géographique, une étude de l’INED (Institut national d’études démographiques) de 2001 montre que le harcèlement à l’encontre des femmes est proportionnellement lié à la taille de l’agglomération urbaine:
Libération rapporte dans son édition du 6 mai 2016 les résultats d’une publication de l’INED qui analyse des insultes les plus adressées aux femmes dans l’espace public :
Amandine Lebugle, docteure en démographie, a passé deux mois à éplucher les données des enquêtes «Cadre de vie et sécurité» menées par l’Insee et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales entre 2008 et 2012. Une manière de «mesurer, quantifier le harcèlement de rue et le définir sous toutes ses formes». [Enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles. Alice Debauche, Amandine Lebugle, Elizabeth Brown, et al., Documents de travail, n° 229, 2017]
«Salope» : C’est incontestablement la favorite, utilisée dans près d’un quart des cas (24 %). Et plus la cible est jeune, plus elle est susceptible d’être traitée de la sorte : 35,8 % des 15-29 ans avaient entendu l’insulte «salope» dans les deux dernières années, contre 5 % des plus de 60 ans. Les malotrus qui y ont recours sont plutôt des hommes : «salope» est le mot qu’ils utilisent dans 25,6 % des cas (16 % pour les femmes). «J’ai été assez interpellée par le fait que des femmes emploient ce terme», se souvient Amandine Lebugle. D’autant que la chercheuse s’est aperçue que chez les mineurs, la tendance s’inverse complètement : les jeunes filles sont plus nombreuses (37,8 %) à lâcher des «salope» que leurs homologues masculins (32,2 %). «Certains sociologues qui ont travaillé sur le rapport des jeunes filles à la sexualité estiment que c’est une manière de se différencier d’un groupe dont on estime ne pas faire partie», explique l’auteure de l’étude. Autre découverte : seules 64 % des femmes traitées de salope estiment avoir été la cible d’une injure sexiste, ce qui révèle, aux yeux de l’auteure, une certaine «méconnaissance de ce qu’est le sexisme, un manque de sensibilisation. On entend ce terme régulièrement, sans forcément avoir conscience de la palette de réalités qu’il recouvre».
Un mur des insultes entendues, à l’initiative du collectif «Stop harcèlement de rue», à Montpellier le 17 avril. Photo David Richard. Transit pour Libération
La gravité des insultes ne doit pas non plus masquer la gravité des violences physiques. Rappelons avec un autre article que “Selon les données de la Banque mondiale, le viol et la violence conjugale représentent pour une femme âgée de 15 à 44 ans un risque plus grand que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis. Une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie. Les chiffres font froid dans le dos : rien qu’en France, une femme meurt tous les trois jours, dans tous les milieux, à la ville comme à la campagne, sous les coups de son conjoint.”
Les pays du Nord de l’Europe, pourtant très en pointe en termes d’égalité homme-femme, ayant les plus mauvais chiffres. «A cause de l’alcoolisme, essentiellement, commente la députée européenne. Mais aussi parce que les femmes y sont plus sensibilisées à leurs droits fondamentaux, hésitent moins à parler que dans d’autres pays européens, se sentent plus légitimes à dénoncer les violences qu’elles ont subies.» Il faut donc déduire que les chiffres donnés par l’enquête sont sans doute très en deçà de la réalité. Les femmes ont souvent peur de parler, parce qu’après, que va-t-il se passer ? Alors il faut informer, faire parler, soutenir.
Rappeler ce qu’est une violence, d’abord, où elle commence : «Se faire bousculer, gifler, tirer les cheveux, frapper du poing, brûler avec une cigarette, énumère Elisabeth Morin-Chartier, mais aussi subir de la dépréciation récurrente, du genre “tu es nulle, tu n’arriveras jamais à rien”, des comportements abusifs, par exemple se faire confisquer ses clés de voiture ou se voir interdire de voir sa famille, être victime de chantage, ou bien de comportements dominants et de violence économique.»